Marigny est un un bourg très ancien qui doit son nom d’origine gallo-romaine Mariniacus à un dérivé de Marinius, gentilice romain, dérivé lui-même du surnom Marinus. Désigné souvent sous le vocable de Marigny le Châtel à plusieurs époques, c’est un décret officiel du 4 février 1919 qui entérine définitivement l’appellation « Marigny-le-Châtel ».
Si on peut dire que le village est très ancien, c’est parce qu’on y a retrouvé quelques témoignages préhistoriques, un polissoir et des pierres confirmant des sépultures. Deux tombelles celtiques ont également été découvertes au nord du village sur la rive droite de la rivière qui traverse le village, l’Ardusson.
A l’époque gallo-romaine, Mariniacus est le carrefour de deux voies romaines importantes : la voie reliant Sens à Chalons, dite voie de Lannerey et de Châtres et la voie qui va de Troyes à Paris par Estissac, cette voie passant par le lieu-dit, le Pont du Rion. C’est un bourg important comme en témoignent des documents officiels datant de 804, sous le règne de Charlemagne. On parle à un certain moment d’une population de 1 400 feux sans spécifier l’époque. Un écart nommé le Bourdeau (écrit « Bourg d’eau »), s’est appelé un temps le faubourg de Provins. Girault de Saint Fargeau précise dans son ouvrage sur les communes de Champagne, que « partout où on laboure à quelque distance du village on trouve des fondations et des pierres ».
Au XIIème siècle Marignacum possède une population d’environ 90 feux, soit 572 habitants et un imposant château fort, dépendant de la coutume de Troyes qui abrite « les fiers barons de Marigny redoutés de tous leurs voisins». De ce magnifique château, probablement en partie en bois au moment de sa construction, il ne reste qu’une ceinture de fossés encore intacts puisqu’il s’agit de déviations de l’Ardusson. Un vieux dicton précise que l’on ne pouvait pénétrer dans le village, ni dans le château sans passer sur un pont. Cette forteresse aurait été située à l’intérieur d’un périmètre compris entre le fossé formé par l’Ardusson près du cimetière, le bras qui longe l’actuelle rue de la République, passe sous l’école maternelle et rejoint le cours principal de l’Ardusson près de la ferme du Moulin. Ce château aurait figuré au rôle des grands fiefs de Champagne et devait avoir un aspect redoutable avec ses tours crénelées et son pont-levis. Une chapelle dite de la Sainte Catherine et le donjon auraient été situés à l’endroit où s’ élève aujourd’hui la maison de M. et Mme Thiriot.
La tour de Blin, située sur une faible éminence, n’aurait apparemment été qu’une simple tour de guet avancée. Les habitations de cette époque sont construites en pierres et en craie extraites du territoire et ne comportent qu’une seule pièce avec une grande cheminée, un toit de chaume ; souvent, des murs ferment les cours. Les routes très fréquentées et les rues sont pavées à la romaine avec des pierres que l’on va chercher en particulier à Ferreux dès le XVème siècle. Pour pénétrer dans le village, on passe sur deux ponts de bois et cinq ponts de pierres.
On ignore l’époque exacte à laquelle la Maison de Trainel entra en possession de la seigneurie de Marigny. Le premier membre connu comme l’ayant possédée est Garnier II de Trainel. Comme lui, Garnier III, son fils ne figure pas dans les chartes comme seigneur de Marigny mais la preuve de son titre est la trace d’une rente qu’il constituait en 1201, au chapitre Saint Pierre de Troyes, de 4 livres10 sols sur son marché de Marigny. Avec Garnier IV, premier seigneur de Marigny déclaré sur les chartes, puis Garnier V, dernier mâle de cette branche, prit fin la succession des Garnier de Trainel.
En dehors de l’histoire de ses différents possesseurs, il est intéressant de suivre la destinée du château lui-même. En 1416, durant la guerre opposant la famille d’Orléans aux ducs de Bourgogne, alliés des Anglais, il est occupé par les troupes du duc de bourgogne, repris en 1430, par Charles VII, puis tellement endommagé en 1526 qu’il reste inoccupé un certain temps. Réparé, il subit les assauts d’une troupe de reîtres en 1575 pour être ensuite partiellement détruit en 1576 en même temps que le village qui est livré au pillage et à tous les maux inimaginables.
Des souterrains ont été mis à jour à l’endroit où devait se situer l’ancien château mais on ignore les tenants et aboutissants de ces imposantes galeries d’une hauteur de 1,70 m.
Des personnages célèbres font halte à Marigny : Garnier II avant son départ pour les croisades, Thibaut III de Champagne, Philippe de Valois, Jean Sans Peur, Charles VI et Isabeau de Bavière avant de gagner Troyes (où sera signé le fameux Traité) et le roi François 1er.
A la même époque que l’édification du château, c’est-à-dire au XIIème siècle, se construit une église qui, d’après les documents que nous possédons, devait être très grande puisqu’on y parle d’une nef de 40 mètresde long. Désignée d’abord sous le nom de St-Pierre-ès-Liens, elle est maintenant nommée église St-Maurice, du nom du patron de la commune. Hélas, de ce magnifique édifice, il ne reste qu’une partie gothique tronquée et des murs datant des XVème et XVIème siècles, souvent mal réparés, soit dans la hâte, soit par des ouvriers malhabiles. On pense que le chœur qui regarde vers le midi et se termine en hémicycle, n’était primitivement qu’une chapelle latérale. Quelques très beaux vitraux sont encore visibles ainsi qu’un retable « St-Jacques » du XVIème siècle attribué au Maître de Chaource. On dit aussi que les notables se faisaient ensevelir sous la dalle qui fait face au chœur actuel.
Le manque de documents (dont beaucoup furent détruits au cours des siècles), fait que l’on ignore l’époque à laquelle les habitants de Marigny sont affranchis mais en 1609 on trouve un acte attestant que « tous les habitants sont francs et quittes de toutes servitudes envers le seigneur ». Pourtant, ils lui doivent chaque année, 3 boisseaux d’avoine par ménage et 1 boisseau ½ de coutume appelée la « saulmeunière » (peut-être du seigle qui était cultivé en quantité à cette époque). Ils sont aussi tenus d’aller régulièrement chercher de la pierre de Ferreux pour payer les rues au demeurant fort bien entretenues. Les habitants sont assez à leur aise et il y a peu de pauvres sauf dans les années stériles. Un Maître d’école chargé d’enseigner aux garçons est gagé par la paroisse, il est désigné par les habitants après homologation par les élus de Troyes. Les quelques filles qui reçoivent de l’éducation la reçoivent d’une des sœurs de l’Hôtel-Dieu ou à domicile pour les bourgeois et les gens aisés.
De 1610 à 1788, période pour laquelle on a retrouvé des documents fiables aux archives départementales, on peut raisonnablement penser que la vie à Marigny se déroule simplement comme dans beaucoup de villages de notre pays, avec ses bonnes et ses mauvaises années un peu à l’écart des événements qui parfois bouleversent le pays.
Les registres d’état-civil tenus à jour par les curés de la paroisse nous éclairent de façon significative sur la vie quotidienne des habitants de notre charmant village : en 1788, Marigny compte environ 600 habitants dont 130 enfants (130 filles et 100 garçons). On y trouve des agriculteurs certes, mais aussi 50 personnes occupées à la filature du coton, non compris les enfants de moins de 12 ans. Marigny possède déjà une manufacture importante, d’où un passé ouvrier qui influera sur son avenir politique dans les années 1930. Certains marignons travaillent sur 2 métiers à bas et 10 métiers à toile, dans leur propre maison. Pratiquement tous les autres corps de métiers sont représentés : des nourrices qui élèvent aussi des enfants que l’on envoie de Paris.
René-Joachim Meignan est même désigné le 6 mars 1789, par les habitants de Marigny pour porter le cahier de doléances de la paroisse et élire les représentants du Tiers-Etat du baillage de Sens, aux Etats Généraux de 1789. Il reçoit 6 livres par jour pour son déplacement qui dure 8 jours.
Bien sûr, il y a aussi un maître d’école, Jean-Jacques Renvoyez (remplacé en 1789 par Pierre Massey puis en 1793par Nicolas Picard), qui est payé 300 livres l’année par la paroisse et en céréales par les habitants si l’année est bonne. Il va ainsi avec sa brouette recevoir son salaire chez les parents de ses élèves. Pour améliorer son ordinaire, le maître d’école remonte également l’horloge de l’église, il reçoit alors une somme de 15 livres pour une année de soins et le 16 novembre 1788, il touche 19 livres pour avoir dégraissé la dite horloge. Il habite la maison d’école, assez chétive selon les documents.
Le maître de Marigny, lui, ne doit pas être trop mauvais puisque 20 à 30% (M. Vovelle parle même de 30 à 50%) de la population sait lire et écrire et la plupart des hommes savent signer.
Le curé est plutôt mieux loti, le presbytère est une grande bâtisse qui sera encore agrandie en 1789 suite à une délibération venant de Chalons autorisant l’augmentation des bâtiments. Les sommes allouées aux bâtiments sont révélatrices de l’importance donnée aux différents édifices entretenus par la « commune » : pour l’église, 50 livres, pour le presbytère, 40 livres et pour la maison d’école 20 livres. Le curé lui, touche la dîme (paiement en nature du 30e voire du 10e des produits des paysans) pour le service de la religion mais ceci représente si peu qu’il doit souvent aller manger chez ses paroissiens. En contrepartie, il tient les registres d’état-civil de la paroisse où en 1788 on ne trouve aucune trace d’autre religion (même si dans le village il existe une rue des Juifs). A noter que pendant quelque temps, les registres sont tenus par René-Joachim Meignan, le curé Conrad étant décédé en 1788, d’apoplexie suite à une indigestion de soupe aux choux ; il n’est remplacé par le curé Alléon qu’en 1791. De plus, la Révolutionet la 1ère République passant par là entre temps, le curé Alléon est totalement dessaisi des registres le 28 octobre 1792 par le maire Jean-Baptiste Villain, (remplacé en 1793 par Lupien Droy en 1797 par Léonard Rousseau), au profit de Denis Jerflez, officier public pouvant être assisté par le citoyen Claude Bossuat.
A l’aube de la République, on peut trouver sur les registres, l’acte de naissance de Julie Adélaïde Massey, fille de Pierre Massey, maître d’école et de Marie-Jeanne Banry et le 13 Brumaire de l’An 9 celle de Caïus – Gracchus – Régulus Paquier (ça ne s’invente pas !), dans la même famille, on trouve le mariage de Nicolas Pasquier, 22 ans et maître en chirurgie, mariage approuvé par son tuteur Claude Bossuat, bourgeois en cette paroisse. Il est fait aussi mention du 1er divorce par consentement mutuel dans la commune, le 14 Ventôse de l’an 9, de Louis Hacquin et de Marie-Jeanne Guillemard.
La Révolution n’amène pas de changements spectaculaires dans la vie quotidienne des marignons si ce n’est une nouvelle implication des citoyens dans la vie municipale, l’apprentissage laborieux de la démocratie et d’un nouveau calendrier puis des guerres qui font quelques morts en particulier Claude-Victor Paquier, capitaine au 5e Bataillon des Fédérés Nationaux, mort prisonnier de guerre à Bruxelles le 12 octobre 1793. En 1790, Marigny devient chef-lieu de canton, mais rien à ce jour ne permet de dire de manière certaine pourquoi le chef-lieu de canton est transféré à Marcilly le Hayer qui fait alors partie du canton de Villadin, le 27 fructidor de l’an IX c’est-à-dire en 1798 !
Un document des archives départementales nous dépeint le village vers les années 1870 : « Marigny, quoique bien déchu, fait croire à son ancienne importance… Les rues encore pavées il y a 20 ans sont remplacées par de belles chaussées modernes… La population est de 490 habitants… Le sol est généralement peu productif mais à force d’engrais soit animaux soit végétaux, on parvient à vaincre cette ingratitude du sol. On compte 1778 ha de terres labourables, 136 hade prés de médiocre qualité, 21 ha de bois particuliers et 34 ha de friches ou landes… On compte aussi 50 chevaux, 250 vaches, 1 800 bêtes à laine réparties en 9 troupeaux, 60 porcs, beaucoup de volailles, point de pigeons mais quelques ruches. On cultive toutes sortes de légumes et de fruits mais on manque de bras pour les travaux des champs, la population préférant travailler dans l’industrie de la bonneterie : on compte 80 métiers à bas… Chaque maison possède son puits qui est peu profond. L’Ardusson fait tourner un moulin. On y pêche des écrevisses et des brochets mais il y a peu de mares pour abreuver les bestiaux… La garde se compose de 110 hommes en état de porter des armes. La subdivision des pompiers est formée de 16 hommes commandés par un sous-lieutenant, ils sont habillés et équipés au compte de la commune.
Dans ce même document d’archives, on regrette que les habitants aient perdu tout souvenir de leur ancienne origine, que l’on n’y rencontre aucune tradition, que l’on n’y conserve rien des mœurs et des habitudes de ces seigneurs de haut lignage qui tenaient le premier rang parmi les barons de Champagne, ni de l’époque où Marigny comptait jusqu’à 1400 feux !
Une crise importante secoue l’industrie de la bonneterie de 1850 à 1870 causant du chômage qui ne dure heureusement qu’une vingtaine d’années. Durant cette période et et les quelques années qui suivent, les esprits vont s’échauffer. La polémique créée par la séparation de l’Eglise et de l’Etat, loi du 9 décembre 1905, sous la présidence d’Emile Loubet. Des dissensions vont séparer les habitants, cléricaux et anti-cléricaux pendant de longues années. Un exemple : la nuit de la déclaration de la séparation des Eglises et de l’Etat, quelques agités se réunissent autour du presbytère (à l’endroit de l’ancienne poste) et le prêtre terrorisé n’a que le temps de s’enfuir par la ruelle qui contourne son logement pour se réfugier auprès de paroissiens fidèles. Le presbytère est récupéré par la commune, démoli puis remplacé par la Poste qui entrera en fonction en 1913.
Le 26 mai 1893, Mme Ange-Marie Vallot, propriétaire à Marigny-le-Châtel, veuve de M. Appolinaire Picard fait un legs important à la commune pour qu’elle construise un asile pour vieillards (l’actuelle école primaire) ainsi qu’une maison d’école pour filles.
S’il était possible de remonter le temps, nous pourrions rassurer l’historien des années 1870 ; non, Marigny n’a pas perdu tous ses souvenirs et a même retrouvé son panache d’antan. La bonneterie en plein essor connaît une ère de prospérité remarquable à partir des années 1900 avec ses fabriques importantes assurant, avec les petits ateliers familiaux, toute la fabrication des bas et chaussettes de la région (400 personnes y sont employées).
En 1874, le conseil municipal approuve le projet de la construction d’une ligne de chemin de fer qui aurait relié Epernay à Sens par Romilly-sur-Seine. Un tracé étant proposé, le « Pont Rond » est construit. Vers 1904, un second tracé est proposé mais vite abandonné, il cède sa place au projet initial. Des travaux visant à élever une sorte de digue ou passage surélevé traversant les bois de pins commencent en direction d’Ossey-les-Trois-Maisons. En 1906, deux projets de gare sont à l’étude. A l’emplacement choisi, rue Georges Clemenceau, on voit très bien le terre-plein aménagé à cet effet, sur lequel se trouve le bâtiment de l’ancien local des pompiers. En 1928, le projet de chemin de fer est totalement abandonné.
L’évolution du village est stoppée par la première guerre mondiale où les hommes sont engagés en grand nombre. Trente-six Marignons périssent, d’autres reviennent blessés ou infirmes. Ce sont les femmes qui assurent la survie du bourg.
L’essor ne reprendra que dans les années 20. Les patrons font construire des cités ouvrières. Les familles vivent de l’usine, les enfants y travaillent à partir de 12 ans. Les ouvriers ayant la possibilité de faire des heures supplémentaires dans les ateliers familiaux peuvent aussi entreprendre la construction de leurs propres maisons, aidés par la loi Loucheur de 1928. Les commerces sont florissants. On y trouve tous les artisans traditionnels, 6 cafés, 8 épiceries, 2 boulangeries, 1 boucherie, 1 bureau de tabac, 1 laiterie, 1 bazar, des marchands ambulants et même 1 cinéma !
En 1936-1937, Marigny connaît un niveau de vie très élevé. C’est un des villages de France qui possède le plus de voitures automobiles (1 pour 7 habitants). Malheureusement arrive le conflit de 39-45 qui apporte son lot de souffrances : 11 soldats tués au combat, des hommes dans le maquis, une déportation. Le bourg, cependant, est peu atteint par l’occupation. A la Libération, les Américains ne font que 2 brefs passages. Il n’y a pas de réactions violentes envers des « collabos » fort peu nombreux au demeurant.
L’après-guerre, qui aurait pu correspondre à une reprise de l’essor du village, sera une période difficile pour Marigny. A partir des années 1950-1960, la situation dans la bonneterie se dégrade pour aboutir à une crise si importante qu’elle voit la fermeture des entreprises et petit à petit, celle de tous les ateliers familiaux.
L’agriculture prépare sa mutation. En 1948, la première moissonneuse fait son apparition à la ferme de M. Laurent à « Belle-Assise ». Les scènes de moisson nécessitant un abondant personnel vont progressivement disparaître.
Si actuellement l’industrie bonnetière a disparu de Marigny, le village a réussi son redressement grâce à l’implantation de nouvelles activités. L’arrivée, en 1962 de la S.I.R.C. (reliure) a permis à de nombreux bonnetiers de retrouver du travail. La S.T.P.P. (traitement des produits de presse), l’A.C.M.M. (constructions mécaniques), l’implantation du Silo, de la Coopérative de déshydratation et les entreprises nouvelles de la zone industrielle assurent également des emplois. La construction de pavillons pour les employés de la centrale E.D.F. de Nogent-sur-Seine et la vente de terrains constructibles ont permis à la population du village de dépasser 1500 habitants.
L’agriculture s’est diversifiée et on cultive du blé, de l’orge, du chanvre, de la luzerne, des betteraves, du maïs, du colza, des pommes de terre… Par contre, si le matériel s’est fortement modernisé, l’élevage a presque totalement disparu.
Voici pour la partie « passé du village » qui comporte beaucoup de lacunes et certainement des incertitudes. N’hésitez pas à nous envoyer des rectifications ou des précisions si vous détenez des documents faisant foi. Vous pourrez trouver de nombreux renseignements complémentaires dans le livre de Jacques Lill « Marigny le Châtel, mon village ».